J’aimerais vous dire que je n’ai pas écrit depuis juin 2021 parce qu’un bambin de 2 ans gambade joyeusement dans mon salon et que je suis épuisée.
J’aimerais vous dire qu’on est pas allé au bout de 3 fiv et de 8 transferts, que je n’ai pas versé des litres de larmes devant des résultats toujours <2 ui, que je ne me suis pas sentie nulle, vide, aride.
J’aimerais vous dire que je suis sortie de la PMA par la grande porte, qu’elle n’a pas usé mon corps et mon esprit, que le rouleau compresseur ne m’a pas broyé.
A la place, je vais plutôt vous parler de cette année 2023 dans laquelle j’ai eu l’impression de vivre dix vies en une.
En janvier on a fait notre 8ème et dernier TEC, celui auquel je ne croyais même plus, celui qu’on fait « parce qu’il en reste un et qu’on sait jamais quand même ».
Evidemment il a été négatif.
Evidemment personne n’a d’explication. Endomètre parfait, embryon parfait, IRM pas dégueu, polype enlevé, progiron, aspegic… matrice lab tenté mais impossible sans AG et je n’avais plus la force.
On parle dans ce cas d’échecs d’implantations inexpliqués, c’est le mot fourre tout pour te dire qu’on sait pas, que ça devrait marcher mais que ça marche pas.
Je crois qu’à ce moment là je suis arrivée au bout. J’ai regardé toutes ces années de combat, je me suis demandé pourquoi (pour avoir un enfant en bonne santé et éviter de devoir survivre à des fausses couches répétées) et j’ai dit merde.
J’ai dit pardon à cet enfant d’abandonner là, que j’avais vraiment tout essayé, mais merde.
Alors on a essayé autrement, parce que pour rappel et c’est là tout le paradoxe : pas de souci de fertilité, on souhaite « juste » ne pas transmettre un gène potentiellement dégueulasse/potentiellement sans gravité.
Je suis tombée enceinte le premier mois.
De jumeaux.
Naturellement.
Dame Nature (la pute) a vraiment un sacré sens de l’humour.
J’ai eu un début de grossesse qui cochait toutes les cases de la dégueulasserie : hémorragie, hématome important, décollement, placenta inséré totalement sur le col, saignements non stop, j’ai dû resté assise sans faire d’efforts à partir de 6 semaines.
Je dis que c’était dégueulasse mais c’est un peu mentir, c’est la vie qui a été dégueulasse.
J’ai adoré chaque jour de cette grossesse, de ces 2 cœurs en moi et j’aurais fait n’importe quoi pour qu’elle dure jusqu’au bout. J’ai arrêté de respiré et j’ai savouré chaque écho dans laquelle je les voyais évoluer.
Ils étaient parfaits.
J’ai visiblement transmis mon anomalie génétique au moins à l’un des deux, c’était un garçon et son petit corps ne l’a pas supporté.
Pour le deuxième j’ai semble t-il fissuré la poche des eaux, il ou elle s’est battu pour tenir quelques jours avec très peu de liquide amniotique et on a perdu les deux entre 13 et 14 sa.
L’ironie, jusqu’au bout, c’est qu’à ce terme là on est encore dans le délai du curetage et qu’il fallait demander une dérogation pour les expulser « naturellement ».
J’ai accepté le curetage à contre cœur, parce que trop de risques d’hémorragie, parce que « ça ne ressemble pas à un vrai bébé » (c’est vrai), mais vraiment, j’avais pas envie de leur dire au revoir comme ça.
J’ai contracté toute la nuit qui a précédé l’intervention, j’ai expulsé un des fœtus chez moi, sous la douche avec un miroir, juste avant de partir.
J’ai eu une chance folle de ne pas me mettre à saigner à ce moment là, j’ai eu une chance folle de le voir.
Ça ne ressemble pas à un vrai bébé, je ne veux pas que ça serve à du bullshit anti ivg, mais c’est la plus belle chose que j’ai vu à ce jour.
Ça a rendu concret ce que je vivais, ça m’a permis de fixer son existence dans ma mémoire.
J’ai expulsé le deuxième à l’hôpital, j’ai commencé à saigner juste après et j’ai été bien contente d’être prise en charge pour le curetage des placentas et de ne pas me vider de mon sang toute seule.
Ça a été dur de voir que le monde continuait à tourner, de vivre sans ces enfants qui n’existeront jamais que dans nos cœurs.
Ça a été dur de faire face au silence des gens qui ne savent pas quoi dire. C’est dur de faire face au manque de ce qu’ils auraient été, c’est dur de penser que c’est mon patrimoine génétique qui les a empêché de vivre.
Je suis retombée enceinte 3 mois plus tard. Une grossesse physiquement parfaite (un peu de nausées, de la fatigue, des désagréments digestifs, ce serait indécent de se plaindre) mais moralement très difficile.
Je viens de passer 3 mois en apnée à craindre plus que tout de devoir le revivre si tôt, à l’aimer si fort mais à avoir si peur, à l’aimer tout comme j’ai aimé les autres, à avoir le cœur qui déborde et ne plus savoir quelle place donner à qui.
On a finalement appris que c’était une petite fille et pour nous, ça signifie qu’elle va vivre. Porteuse du gêne ou pas, elle va vivre.
On a choisi d’en faire la seule information importante : elle va vivre. J’espère que je ne lui offre pas une santé trop brinquebalante, mais, si c’était le cas, elle sera parfaite et on sera là.
2023 aura vraiment été incroyable, je n’aurais jamais cru que notre histoire se finirait comme ça.
Je ne regrette pas le chemin, je ne regrette pas les efforts, je ne regrette pas les années.
Après tout, on a tout aujourd’hui pour arriver à demain.